Une longue et vive amitié liait la Communauté de Sant’Egidio à Tamara Ivanovna Chikunova, décédée le 31 mars 2021 à Novara, où elle vivait avec la Communauté depuis quelques années.
Tout a commencé en 2002 par une lettre sur son engagement en faveur de l’abolition de la peine de mort en Ouzbékistan, suivie peu après par sa participation à la fondation de la Coalition Mondiale contre la Peine de Mort (WCADP) au siège de Sant’Egidio et par une visite à Tachkent en 2003. Au fil des années, cette amitié est devenue un lien fort, qui a vu la douleur de Tamara se transformer en un engagement ferme contre l’injustice de la peine de mort et qui a fait d’elle la douce référence et l’amie de nombreux jeunes.
Tamara était une femme russe qui s’est retrouvée dans la capitale ouzbèke au moment de la dissolution de l’Union soviétique et a continué à vivre dans ce pays d’Asie centrale. En 1999, son fils Dmitry a été injustement condamné à mort et a été abattu le 10 juillet 2000 : il avait 29 ans. Sa mère n’a pas été informée de l’exécution et n’a donc pas pu lui dire au revoir une dernière fois. On ne lui a même pas rendu le corps de son fils, comme le prévoit la loi ouzbèke pour tous les condamnés à mort.
Après cette tragédie familiale, Tamara a choisi de se battre pour éviter que des cas similaires ne se reproduisent. Elle a décidé de fonder l’association publique « Mères contre la peine de mort et la torture » avec d’autres femmes qui, comme elle, avaient perdu leurs enfants suite à une exécution. Un engagement courageux et intelligent a commencé en faveur de la défense juridique des condamnés et de l’abolition de la peine de mort en Ouzbékistan.
Grâce au travail et à la médiation de son organisation, et en engageant de bons avocats, Tamara Chikunova a contribué à sauver la vie de 23 condamnés à mort et a réussi à faire commuer leur peine de mort en réclusion à perpétuité. Son engagement, soutenu par la Communauté de Sant’Egidio au niveau international, a conduit à l’abolition de la peine de mort en Ouzbékistan le 1er janvier 2008.
Voici comment Tamara a évoqué son choix : « Moi, une petite femme vaincue, j’ai travaillé pour laisser gagner la vie. Au début de l’année 2002, j’ai écrit une lettre à la Communauté de Sant’Egidio, demandant de l’aide pour moi et pour ma mission : libérer les condamnés à mort. Je remercie le Seigneur car depuis ce jour, nous ne nous sommes plus quittés ! Au fil des ans, des miracles se sont produits, nous avons pu sauver la vie de nombreux jeunes condamnés à mort dans mon pays. J’ai vraiment reçu le signe de l’amour de Dieu ! Ainsi, Dieu m’a donné la force de pardonner à tous les responsables de l’exécution de mon fils ! Et en trouvant la force de pardonner, je suis devenu plus forte ! »
Entre-temps, son regard s’est élargi à d’autres pays de la région, et Tamara Chikunova a apporté une contribution importante au processus qui a conduit à l’abolition de la peine de mort au Kirghizstan, au Kazakhstan et en Mongolie.
Tamara a ressenti la responsabilité urgente de témoigner de son histoire et de contribuer à l’abolition de la peine de mort dans le monde, à la diffusion d’une culture de la compassion et de la vie, à l’humanisation des conditions de vie des prisonniers, envers lesquels elle éprouvait une profonde empathie. Elle ne s’est jamais lassée de prendre la parole en public, lors de nombreuses conférences, lors des Rencontres internationales de prière pour la paix mais aussi lors des Congrès des Ministres de la justice, organisés par Sant’Egidio. Elle a particulièrement ressenti le besoin de s’adresser aux jeunes, pour contrer la propagation d’une culture de la haine et de la vengeance, et elle s’est dépensée sans compter pour rencontrer des étudiants dans de nombreux pays européens.
Contrainte de quitter l’Ouzbékistan après avoir reçu de graves menaces, elle a trouvé un foyer et une famille grâce à la Communauté de Sant’Egidio de Novara, qui l’a accueillie en 2009 avec générosité et un grand amour. À Novara, où elle a vécu pendant ces années et d’où elle se rendait souvent en Russie et dans sa chère ville de Saint-Pétersbourg, elle était profondément impliquée dans la vie de Sant’Egidio, dont elle partageait fraternellement l’esprit et l’amitié.
Femme généreuse, courageuse et infatigable, Tamara, bien que malade, s’était également consacrée ces dernières années à une mission importante de rencontre des détenus des prisons italiennes et allemandes, auxquels elle adressait des discours passionnés et émouvants. L’une de ses préoccupations était le fait que le Biélorussie est le seul pays européen où la peine de mort est encore en vigueur. Elle consacra une grande partie de son énergie à la Biélorussie et elle fut nommée déléguée du Conseil de l’Europe pour la question de la peine capitale dans ce pays.
Son regard, qui derrière un voile de tristesse cachait une ancienne fierté, communiquait la compassion qui a animée sa vie après la mort de son fils.
Femme de foi, elle a laissé un message de vie, d’humanité et de paix, à l’égard duquel nous sommes profondément reconnaissants. A Barcelone en 2010, dans son discours lors de la rencontre de Prière pour la Paix organisée par Sant’Egidio, elle avait déclaré : « Maintenant, il est temps de lutter pour l’âme des personnes, faute de quoi, le vide spirituel se remplira rapidement avec d’autres idées… » Elle était profondément convaincue que « Dieu n’est pas un juge mais un père qui pardonne. »